Le « déni » climatique

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Un lecteur belge m’a écrit pour me dire qu’il a été « passablement énervé » par une tribune libre parue le 19 mars dans La Libre Belgique. Intitulée « Quand le climato-scepticisme rassure », elle est signée de Jean-Jacques Delfour, présenté comme agrégé de philosophie. Cette tribune, qui affirme que la « tempête médiatique » conteste « sans arguments probants » le carbocentrisme du GIEC, s’interroge sur les « fondements de ce déni. » Les réponses proposées ne sont pas d’ordre scientifique mais « politique, moral, psychologique et culturel ». Une phrase me semble bien résumer l’ensemble :

Le climato-scepticisme est motivé non pas tant par des raisons scientifiques que par le souci normal d’éviter des angoisses pénibles ainsi que par le désir de protéger la jouissance.

Il y a une part de vrai dans cette affirmation. Si le GIEC m’avait convaincu de la validité du carbocentrisme, je crois qu’à l’heure qu’il est je serais terrorisé par ce qui nous attendrait. Amis sceptiques, nous devons le reconnaître : certains des ressorts psychologiques nous ayant conduits sur la voie du scepticisme sont certainement liés au refus de devoir faire face à la crainte de l’avenir.

Là où je diverge, c’est lorsque Jean-Jacques Delfour estime que ce point, avec quelques autres du même genre, est suffisant pour discréditer le climato-scepticisme dans son ensemble. Si un tel raisonnement est certes courant chez les carbocentristes, il est tout de même assez étonnant de le retrouver sous la plume d’un agrégé de philosophie.

Une grosse faille de ce raisonnement est que celui-ci pourrait se reformuler à peu près de la même manière pour justifier la peur du jugement dernier. Cet article s’inscrit dans le cadre désormais classique, et exploité à l’envi par les alarmistes du climat, de l’apologie de la peur. Autrefois considérée comme l’expression de la lâcheté, et à ce titre moralement réprouvée, la peur est désormais un sentiment non seulement légitime, mais estimable et valorisé. Aujourd’hui, de façon paradoxale, la peur est vue comme la marque du courage et de la dignité : elle dénote, croit-on, le courage de voir le monde tel qu’il est, c’est-à-dire fondamentalement mauvais et devant lequel tout homme digne de ce nom ne peut être que saisi de répulsion et de crainte. Le fait que la peur climatique s’inscrive dans cette tendance purement psychologique, sans fondement scientifique particulier, ne constitue pourtant évidemment pas une preuve contre le GIEC, alors même que, selon le mode de raisonnement de Jean-Jacques Delfour, il semblerait qu’il en soit une.

Tout aussi grave est le fait que l’article ne tient pas compte non plus de la fascination irrationnelle qu’exercent depuis toujours les annonces d’apocalypses. Des Anabaptistes du seizième siècle au Millerites du dix-neuvième, les exemples sont innombrables de groupes d’individus convertis à une foi inébranlable en la proximité de la fin du monde. Ainsi, parallèlement au tropisme qui nous conduit parfois à refuser de voir les malheurs existe aussi un tropisme contraire, qui nous attire vers les histoires de catastrophes. Il est donc abusif d’invoquer notre tendance au déni des malheurs sans examiner de près la région de notre psychologie où règne cette tendance, ainsi que celle où règne la tendance contraire. Sans un tel examen, l’argument est tellement simpliste, tellement facile, qu’il perd tout intérêt. Le fait qu’il soit pourtant employé à tour de bras montre que la réflexion extra-scientifique sur la question climatique a encore du chemin devant elle.

17 Réponses to “Le « déni » climatique”

  1. araucan Says:

    C’est vrai quoi, si nous ne sommes que le résultat de nos hormones, de nos gènes et de nos neuro-médiateurs, cela discrédite certes le scepticisme, mais aussi toute autre de forme de pensée (dont les pro RCA), y compris logique ou philosophique. On peut même se demander comment une pensée un peu rationnelle a pu émerger de la soupe ou du yaourt qui emplit les cerveaux humains …Mais c’est certainement aussi une illusion … ou du pur hasard …
    😀 😀 😀

  2. Patrick Bousquet de Rouvex Says:

    CQFD : Benoît, vous n’êtes ni statisticien (?), ni philosophe, mais vous êtes un excellent logicien !

  3. Laurent Berthod Says:

    Il y a la peur, certes.

    Mais il y a un sentiment tout aussi puissant et destructeur : la culpabilité.

    « Culpabilité postmoderne » à lire sur : http://laurent.berthod.over-blog.fr/article-30822348.html

  4. Abder Says:

    Il paraît que l’Al Gorisme a séduit jusque même les philosophes… Mais où Descartes M. Delfour?

  5. Benoît Rittaud Says:

    @ Laurent Berthod : vous avez tout à fait raison. Dans ce registre, je me demande d’ailleurs si Nietzsche ne pourrait pas fournir un cadre intéressant pour analyser en détail les ressorts de cette culpabilité.

  6. monmon Says:

    Invoquer les conjonctions astales pour prévoir le temps alors que la causalité est météorologique et utiliser la peur millénariste de la vie éternelle, évidemment mythique, pour atteindre des buts politiques est une vieille habitude humaine.

    Pour ma part ce qui m’a dès le départ frappé dans les raisonnements du GIEC est la non prise en compte d’éléments majeurs du système climatique tel que la vapeur d’eau , la circulation des masses d’air et d’eau chaudes et froides, ainsi que leur faible compréhension des systèmes de climat polaire et des glaciations. Tout ceci est réellement d’ordre scientifique et devrait pouvoir être argumenté.

    De même la diabolisation du CO2, élément fondamental et stable depuis 4 milliards d’années du processus vital, n’est jamais argumentée mais reste le substat mythique de la mise à l’index de ce gaz.

    Leur obstination à ne pas répondre aux questions sur ces sujets et leur aggréssivité vis à vis des opinions différentes des leurs, exprime le caractère idéologique ou quasi magique de leur mode de pensée.

    De plus des erreurs de causalité telle que, en particulier la relation teneur en CO2 /temps et glaciation, restent à discuter qui pourraient ébranler définitivement leur échafaudage fragile.

    En conclusion le désaccord principal avec le GIEC n’est pas philosophique mais bien scientifique.

  7. RanTanPlan Says:

    J’ai une image à proposer à ce philosophe.
    Un parent dit à son enfant : « si tu ne finis pas ta soupe, le croquemitaine viendra te poursuivre dans tes cauchemars ».
    L’enfant finit sa soupe, certain de la raison de l’argument de l’adulte et de l’arrivée future du croquemitaine.
    L’adolescent rit et se moque de la puérilité du discours parental sans argument autre que : le croquemitaine n’existe pas et ta soupe est pourrie. Le philosophe a raison de montrer qu’il y a sans doute autre chose derrière ce discours un peu simpliste et qu’il convient d’en voir le bon sens.
    Mais que ferait un enfant adulte un tant soit peu réfléchi ?
    Il chercherait à savoir ce qu’est ce croquemitaine. Il chercherait à savoir si seule la soupe serait responsable de cette arrivée. Et enfin il encouragerait le parent, par sa démarche, à cesser de prendre son enfant pour un gamin et à l’impliquer différemment dans une démarche qui le concerne.

    Ce ne sont pas les arguments scientifiques qui m’ont fait réagir en « sceptique ». Ce sont les discours de papa Al Gore avec sa montée des eaux de six mètres et sa disparition des ours polaires etc. etc.
    Chacun pouvait réagir en enfant, en adolescent ou en adulte face à ce discours.

  8. Electron Says:

    « la réflexion extra-scientifique sur la question climatique a encore du chemin devant elle »

    Pire encore, je suis persuadé qu’elle est l’essence même de la bulle du RCA:
    Dans les scientifiques, il en est beaucoup qui pensent qu’une augmentation du taux de CO² dans l’atmosphère peut (pourrait ?) induire une augmentation de la T° mais combien sont véritablement alarmistes sur ses conséquences ? En fait un très petit nombre si j’en juge par le ton des publications auxquelles j’ai accès, il s’en trouve peut-être même plus pour penser qu’une augmentation limitée de température, (disons de moins de 2°) serait bénéfique!

    A mon avis, le problème échappe aux scientifiques : récupération médiatique, politique, activismes de toutes sortes qui ont vu dans le RCA le moyen d’augmenter leur pouvoir. Il appartiendra certainement aux historiens de déterminer les causes profondes de cette dérive mais on peut toujours en identifier quelques unes:
    – Atavisme et nostalgie du passé (c’était mieux avant :-)). Toutes les époques montrent des comportement de ce genre
    – Affaiblissement pour ne pas dire effondrement de la pratique religieuse. La nature ayant horreur du vide, une morale se construit pour remplacer l’ancienne
    – « boboite » aigue : il est notable que l’inquiétude climatique ne concerne que les pays les plus riches de la planète, les autres ont des soucis beaucoup plus pressants…
    – Chute du communisme: Cette raison est moins évidente mais il est prévisible que l’occident se cherche de nouvelles grandes causes à défendre pour tenter de péréniser sa suprématie.

    Et j’en oublie …

    Vous aurez certainement compris que je suis assez pessimiste sur la capacité de la science à enrayer totalement ce genre de dérives: l’une remplacera nécessairement l’autre (Encore une petite boule Monsieur Rittaud ? :-)) Mais alors , que faire ?

    C’est simple : « La liberté n’est pas un droit, c’est un devoir » Nicolas Berdiaev

  9. brennec001 Says:

    Pourquoi se focaliser sur l’article de ce ‘philosophe’ qui n’a même pas pris le temps de se documenter, autrement dit qui ne sait pas de quoi il parle? Partant de la, on ne sait pas ce qu’il aime, mais surement pas la sagesse du philosophe.

  10. LionelB Says:

    Science, philosophie, et pourquoi pas un peu de littérature ?
    Un peu de Shakespeare : « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio-Delfour, que n’en peut rêver toute ta philosophie »…
    Ce qui amène à Baudelaire, lors de son séjour en Belgique : à l’occasion d’une discussion, il exposait quelque fond iconoclaste de sa pensée, et son interlocuteur, n’arrivant pas à admettre/ se représenter qu’on puisse penser chose pareille, lui objecta : « vous ne pensez pas ce que vous dites !? ». M. Delfour doit être un descendant de cette personne. L’incapacité de certains professionnels de la trituration de neurones à concevoir qu’on puisse être cohérent en dehors de leur grille d’analyse mériterait quelques études;-)

  11. Fabge02 Says:

    Intéressant de se poser la question. Je renvoie à ce qu’en dit Serge Galam pour lequel le fait d’agîr sur le climat est au contraire rassurant, ce qui me semble plutôt bien pensé. On est en fait dans la logique dessinée depuis le 19è siècle selon laquelle l’homme doit dominer la nature.

  12. pecqror Says:

    Ce genre d’article n’est pas nouveau dans le club des carbocentriste, Monbiot disait déjà en novembre 2009.

    « Le déni du changement climatique se répand tel une maladie contagieuse.  »
    ou
    « Un scientifique américain de ma connaissance laisse entendre que ces livres et sites Web s’adressent à un marché littéraire nouveau : les personnes avec un QI à température ambiante.  »

    En 1973, l’anthropologue Ernest Becker a émit l’hypothèse que la crainte de la mort nous pousse à nous protéger avec des « mensonges vitaux » ou par une« armure psychologique ». Nous nous défendons de la terreur ultime en nous engageant dans des projets supposant l’immortalité, qui dopent notre estime de soi et nous gratifient d’un sens à nos actions qui s’étende au-delà de la mort. Plus de 300 études menées dans 15 pays, semblent confirmer la thèse de Becker. Quand les gens sont confrontés à des images, des mots ou des questions qui leur rappellent la mort, ils réagissent en consolidant leur vision du monde, rejetant les gens et les idées qui la menacent, et s’efforcent d’accroitre leur estime de soi. »

    Donc les sceptiques sont soit, fou, inconscient, idiot. Les affaires comme le climategate et de toute les séries des xxxgates ne font qu’alimenter leur paranoïa aiguë.
    Comme disait minitax, hein c’est aussi de la science climatique..

  13. monmon Says:

    @pecqror
    Vous avez sans doute raison.
    Avez vous des références plus précises sur ces intéressants sujets?
    Merci

  14. jean l Says:

    Les scientifiques, sceptiques ou pas, climatiques ou pas, ont des motivations qui ne sont pas purement scientifiques. Oui, bon, et alors? Ne méritait pas un article selon moi. Si vous commencez à répondre aux gens qui enfoncent des portes ouvertes, vous n’avez pas fini, cher Benoît. Et je suis sûr que vous avez mieux à faire.

  15. Pascal Lapointe Says:

    « Si le GIEC m’avait convaincu de la validité du carbocentrisme » … Et c’est avec votre rigueur scientifique que vous écrivez ça? Ce n’est pas sur le GIEC que, comme scientifique, vous devriez vous appuyer, mais sur des décennies de recherches sur le climat. Et qu’est-ce que le carbocentrisme vient faire là? Une belle expression pour faire sourire les niais, mais où est votre rigueur scientifique pour réduire le GIEC à une expression inventée de toutes pièces?

  16. RanTanPlan Says:

    Si le GIEC n’a pas valeur de rigueur scientifique, il m’apparait alors légitime de pointer les défauts de sa démarche qui s’en prétend. Or puisque vous semblez vous accorder sur le point de sa non valeur scientifique, Pascal, la remarque prend alors un sens critique différent d’une critique scientifique.

    Pour vous résumer : le GIEC concentre l’intégralité de son constat climatique sur le rôle prépondérant du CO2 et notamment sur le CO2 émis par l’homme. Le CO2 est mis au centre du climat, c’en est le moteur à ce point essentiel qu’il suffit de modérer nos émissions de CO2 pour parvenir à réguler la température de la planète (au point qu’on peut donner des objectifs comme : limiter la hausse de la température à 2°C). D’où le terme de carbocentriste.

  17. Benoît Rittaud Says:

    @ Pascal Lapointe : Le mot « carbocentrisme » est un néologisme spécifique à ce blog et à mon livre. Vous en trouverez la définition sur la page « À propos de ce blog » : le mot se veut neutre, et permet de faire plus court que « la théorie du réchauffement climatique d’origine humaine ». D’autre part, le GIEC est censé compiler les recherches et en faire une synthèse : il s’appuie donc bien sur « des décennies de recherches sur le climat ». Pour finir, donc, oui, j’aurais pu écrire « Si les recherches en climatologie m’avaient convaincu de la validité de la théorie du réchauffement climatique d’origine humaine », mais ça aurait fait long, et pour un bénéfice plutôt maigre…

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